Hommage à Batlik – L’art de la défaite

La terre et la vigne

– Chardonnay de Saint-Savin 2021
– Savagnin de Bois d’Arnaux 2021
– Vin biologique sans sulfites ajoutés

Vinification

– Vendanges manuelles
– Fermentation et élevage ouillé en fûts et demi-muids pendant trois ans
– Sulfitage : Sans sulfites ajoutés

Je découvre Batlik pour la première fois au printemps 2013. Lors d’une corvée d’entraide chez Vincent Marie, qui fondait alors son domaine No Control, en Auvergne. Ludovic, l’un des amis venu prêter main forte me recommande après une courte discussion sur nos goûts musicaux respectifs d’écouter ce chanteur. Je ne parviens pas à saisir le style musical de l’auteur après sa description. Je comprends vaguement qu’il joue de la guitare et que ses paroles « devraient me plaire ».

Le poids du superflu, sorti l’année précédente, est l’album que je me procure sur ses conseils. La première audition est rugueuse et je ne déchiffre pas l’entièreté de ce que j’écoute. La guitare tranchante m’envoute mais la complexité de sa poésie m’échappe parfois.
Rapidement, j’acquière les anciens disques et, plus tard, je suivrai avec un certain empressement la sortie des suivants. J’appartiens désormais à ce cercle -d’une taille assez modeste, il faut l’avouer- des batlikophiles compulsifs. Ses paroles m’accompagnent sans cesse, je les récite à haute voix en lien avec une situation de vie, je l’écoute dans les vignes. J’en parle beaucoup et surveille la moindre date de concert. Il compte parmi les musiciens qui me touchent le plus.

Au fil des années, le chanteur à textes engagés ou explicites du début (chansons qu’il semble aujourd’hui regretter) laisse place à un univers de plus en plus poétique, moins intelligible, parfois métaphysique et toujours exigeant. La voix, d’une fausse nonchalance, le sourire en coin, paraît à la fois « fière et tremblante1 ». Par ailleurs, son indépendance et son insoumission aux majors de l’industrie le contraigne à une certaine productivité en même temps qu’à sa mise à l’écart.

En 2019 sort son album L’art de la défaite inspiré de ses lectures d’Emil Cioran. Dans le droit fil des réflexions de ce penseur nihiliste, il propose différentes lectures des thèmes de l’échec, de la défaite et se veut une parabole d’une citation du philosophe : « Rater sa vie, c’est accéder à la poésie sans le support du talent ».

Hélas, pour des raisons connues liées aux pratiques commerciales affligeantes qui régissent la diffusion musicale, Batlik appartient à ces auteurs ignorés des ondes, des médias et des grands programmateurs. Ainsi sommes nous abreuvés continuellement des mêmes chansons insipides au détriment d’une politique culturelle exigeante.

En 2021, après plusieurs suicides de vignerons, je décide d’écrire mon livre, (Un autre vin, Flammarion, 2023) qui dresse lui-même un constat d’échec de notre pratique du métier de vigneron et en décrit certaine absurdités et contradictions. L’art de la défaite et la vision cioranienne qu’il véhicule accompagnent souvent mes réflexions.

En 2023, Batlik annonce qu’il travaille à la préparation de son treizième album, qui sortira un vendredi 13 et qui sera aussi son dernier. « 20 ans de travail auront fait de moi un musicien amateur. Le roi est mort. Vive le roi », achève-t-il son message, en même temps qu’il achève le moral de la petite communauté batlikophile susvisée.

A ce moment, je décide de lui dédier une cuvée. Choisir un vin de 2021 constitue une évidence, tant ce millésime a représenté un naufrage agricole et une défaite collective indéniable. Chacun trouvera son interprétation du vin, de la chanson et de leur accord. Je ne suis pas sûr de l’avoir moi-même complètement trouvée.

Je délivre et dédie cette cuvée à l’été 2024 alors que Batlik vient de terminer sa dernière tournée et de mettre en vente ses guitares. Au milieu de cette mélancolie, me restent les souvenirs des concerts touchants, joyeux et tristes, emplis d’autodérision et la consolation des nombreux albums qu’il nous est donné d’écouter. Le dernier, Numéro 13, est poétiquement et musicalement d’un raffinement ultime. Il m’aura accompagné en cette nouvelle saison viticole désastreuse parsemée de gel, de pluie, de mildiou et de beaucoup d’acharnements pour si peu de fruits : « si tu croises le Karma ou la providence, dis-leur que leur absence nous a coûté tout ça » y écrit-il. Difficile de l’énoncer avec plus de classe.
Chacun pourra désormais rencontrer Batlik dans le restaurant qu’il ouvre avec la cheffe Jeanne Cottet, Orso au 3, Rue Pierre Bayle à Paris mi-octobre 2024. « Gloire à la route ».